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Anet - 1957

Robâ'iyât du Sage Khayyâm. 144 quatrains d'Omar Khayyâm traduits littéralement par Claude Anet et Mirza Muhammad. Nouvelle édition revue, accompagnée d'une étude par Gilbert Lazard et de 22 quatrains dans une traduction nouvelle. Paris, Club des Libraires de France, 1957.

Quatrains from Anet's translation that correspond with the Bodleian Ms.

20 [12]
Aujourd’hui tu n’as pas accès à demain
et le souci que tu t’en fais n’est que chimère.
Si ton coeur est sage, ne gâte pas ce souffle présent
car ce qui te reste de vie est le seul bien précieux.

22 [102]
O Khayyâm, si tu es ivre de vin, sois heureux.
Si tu es assis près d’un adolescent sans rides, sois heureux.
Comme le compte de ce monde est à la fin néant,
suppose qu tu n’es plus; tu vis, donc sois jeureux.

23 [35]
Verse Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre,
sans compagnon, sans amis, sans femme.
Garde-toi de confier à personne ce secret:
Un coquelicot fané ne refleurit jamais.

26 [136]
Jusqu’à quand prendrai-je souci de ma fortune?
Jusqu’à quand prendrai-je souci du bonheur et du malheur?
Remplis la coupe, car je ne sais même pas
si cette bouffée d’air que j’aspire, je l’exhalerai vivant.

30 [20]
Comme l’eau de la rivière, comme le vent dans le désert
a passé un jour encore de ma vie et de la tienne,
et tant que je vivrai, je ne me soucierai
ni du jour á venir ni du jour écoulé.

33 [9]
Ce vase était comme moi un amant malheureux
enchaîné par la chevelure d’une femme.
Cette anse que tu vois á son col
était la main passée au cou d’une bien-aimée.

34 [89]
Hier, au bazar, j’ai vu un potier
qui foulait sous ses pieds l’argile.
Et celle-ci lui disait dans son langage:
“J’ai été comme toi. Ménage-moi.”

36 [43]
Oú fleurit un coquelicot écarlate
a coulé jadis le sang d’un empereur.
Chaque violette qui sort de la terre
vient du grain de beauté au visage d’un adolescent.

40 [40]
Je ne sais si celui qui m’a créé
m’a destiné au ciel ou à l’enfer.
Une coupe, une adolescente, un luth au bord d’un champ,
je m’en satisfais au comptant et te laisse ton paradis à crédit.

42 [108]
Cette Roue sous laquelle nous tournons
est pareille à une laterne magique.
Le soleil est la lampe; le monde l’ècran;
nous sommes les images qui passent.

49 [67]
C’est un jour charmant, ni froid ni chaud.
Le nuage a lavé le visage des roses.
Le rossignol dit en son langage à la rose jaune:
“Bois du vin! bois du vin!”

53 [60]
Rapide passe la caravane de la vie.
Que pas une respiration de tes jours ne soit sans joie.
Adolescent, pourquoi te soucier du démain des tes hôtes?
Remplis ma coupe, car la nuit avance.

55 [135]
Regarde: la rose s’est ouverte au vent du matin;
le rossignol s’enivre de sa jeune beauté.
Buvons du vin, car combien de roses par le vent
ont été jetées à terre et sont redevennues poussière!

62 [22]
Ce Khayyâm qui cousait les tentes de la sagesse
tomba dans un four et fut calciné.
L’ange Izraël a coupé les cordes de sa tente,
la mort a vendu ses cendres pour rien.

63 [68]
Avant que les chagrins t’attaquent par surprise
ordonne qu’on t’apporte le vin couleur de rose.
Pauvre niais, tu n’est pas semblable à l’or
qu’on cache dans la terre pour l’y retrouver plus tard.

67 [38]
Une coupe fine que le vin a remplie
même un homme ivre n'ose la briser?
Tant de têtes et tant de pieds délicats,
par quel amour ont-ils été réunis? par quelle haine séparés?

70 [8]
Demain ne nous appartient pas.
Sois heureux du jour présent.
Bois du vin à la clarté de la lune
car cette même lune longtemps nous cherchera, et ne nous trouvera pas.

80 [129]
La roue qui nous meurtrira toi et moi,
détruira mon âme pute et la tienne.
Assieds-toi sur l’herbre, vide la coupe, car avant longtemps
l’herbe poussera sur ma cendre et sur la tienne.

84 [115]
Si je suis venu avec tant de dévotion à la mosquée,
en vérité, ce n’est pas pour prier Dieu.
Un jour, jadis, j’ai volé là un beau tapis.
Le tapis est usé, et je reviens à la mosquée.

89 [153]
Adolescent, apporte le vin couleur de coquelicot.
Verse du col de la cruche le sang qu’elle contient,
car aujourd’hui, il n’est pour moi, en dehors de la coupe,
pas un autre ami au coeur pur.

90 [62]
Depuis que la Lune et Vénus ont paru dans le ciel,
quelle splendeur égale celle du vin couleur de rubis?
Je me demande ce que les marchands de vin
peuvent acheter avec notre argent en échange de ce qu’ils vendent.

92 [134]
Ce monde est pareil à une vase renversé
sous lequel agonisent les sages.
Regarde l’amitié qui unit la cruche à la coupe,
lèvre sur lèvre, et le sang coule de l’une à l’autre.

93 [131]
Laisse lá les leçons des savants,
enchaîne-toi à la chevelure souple d’un adolescent.
Avant l’heure où le temps fera couler ton sang,
verse le sang de la cruche dans la coupe.

94 [94]
Nous sommes des marionnettes que la Roue fait mouvoir.
Telle est la vérité nue.
Elle nous pousse sur la scène de l’existence,
puis nous précipite un à un dans la caisse du néant.

101 [103]
J’ai été hier dans l’atelier d’un potier.
J’y ai vu deux mille vases silencieux ou parlant entre eux.
Chacun me demendait dans son langage:
“Qui est le potier? qui l’acheteur? qui le vendeur?”

106 [123]
Tant que tu le peux, sois disciple des libertins,
tant que tu le peux, ruine les fondements de la prière et du jeûne.
Ecoute la parole vraie d’Omar Khayyâm:
“Bois du vin, fais-toi voleur de grands chemins, mais garde un coeur généreux.”

107 [112]
Puisque notre séjour dans ce couvent est précaire,
il est absurde de vivre sans vin et sans bien-aimé.
Jusqu’à quand discuteras-tu le problème de la création?
Quand je ne serai plus, qu’importe que le monde ait été créé ou non?

110 [47]
Puisque la vie est éphémère, qu’importe qu’elle soit douce ou amère?
Quand vient la fin, qu’importe que tu sois à Bagdad ou à Balkh.
Bois du vin, car combien de fois après toi et moi,
le croissant de la lune grandira pour mourir et renaître!

116 [140]
Ceux qui sont déjà partis, adolescent,
dorment dans la poussière de leurs illusions, adolescent.
Viens, bois du vin, écoute la vérité que je t’apprends:
Tout ce qu’ils ont dit est du vent, adolescent.

117 [146]
Hier, j’ai brisé ma cruche sur une pierre.
J’ètais ivre quand j’ai fait cette folie.
Les morceaux de la cruche m’ont dit à leur manière:
“J’ètais comme toi. Tu seras comme moi.”

121 [64]
Que j’aie toujours à la main la coupe,
au coeur l’amour des adolescents!
On me dit: “Que Dieu t’accorde le repentir!”
Mais ni Dieu ne me l’offre, ni je ne le désire.

122 [118]
Voici l’aube. Respirons l’odeur du vin rose.
Brisons comme verre fragile la gloire et l’honneur.
Renonçons à nos ambitions lointaines.
Caressons les cheveux longs des bien-aimées et les cordes de la harpe.

123 [33]
L’univers n’est qu’un clin d’oeil de notre vie torturée,
l’Oxus n’est qu’une goutte de nos larmes,
l’enfer qu’une flamme parmi celles qui nous brûlent,
le paradis qu’un instant du jour que nous donnons à la joie.

124 [130]
De notre venue en ce monde, de notre départ, quelle est la cause?
Cette vie qui est tissée pour nous, quel espoir devant elle?
Sous le poids de la Roue, les âmes de tant d’hommes purs
brûlent et deviennent cendres. Mais je ne vois pas leur fumée.

140 [27]
Comme je dormais, un sage m’a dit dans mon rêve:
“Pendant le sommeil, la rose de la joie ne s’épanouit pour personne.
Pourquoi t’abandonner au frère de la mort?
Lève-toi, car longtemps tu dormiras sous la terre”.

141 [116]
Quand je serai aux pieds de la mort
et que le fil de mes jours sera coupé,
qu’on fasse de mes cendres une cruche et peut-être
quand le vin l’emplira, renaîtrai-je à la vie.