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Grolleau - 1902

Les quatrains d'Omar Kháyyám. Traduits du persan sur le manuscrit conservé à la Bodleian Library d'Oxford. Publiés avec und introduction et des notes par Charles Grolleau. Paris, Carrington, 1902.

Grolleau's translation of the Bodleian Ms.

1
Si je n'ai jamais mis en colliers les perles de la Prière,
Je ne t'ai jamais caché cette poussière de péchés qui souille mon
visage;
C'est pourquoi je ne désespère pas de ta Miséricorde,
Car je n'ai jamais dit que le Un était Deux.

2
Je vaut-il pas mieux te dire mes secrètes pensées dans une taverne
Que me prosterner sans Toi devant le Mihrab?
O Toi le Premier et le Dernier de tous les êtres,
Donne-moi l'Enfer ou le Ciel, mais fais de moi ce que tu veux.

3
Ô toi qui te crois sage, ne blâme pas ceux qui s'enivrent;
Laisse de côté l'orgueil et l'imposture.
Pour goûter le calme triomphant et la paix,
Incline-toi vers ceux qu'on humilie, vers les plus vils.

4
Si assuré et ferme que tu sois, ne cause de peine à personne;
Que personne n 'ait à subir le poids de ta colère.
Si le désir est en toi de la paix éternelle,
Souffre seul, sans que l'on puisse, ô victime, te traiter de
bourreau.

5
Puisque nul ici ne peut te garantir un lendemain,
Rends heureux maintenant ton coeur malade d'amour.
Au clair de lune, bois du vin, car cet astre
Nous cherchera demain et ne nous verra plus.

6
Le Koran, que les hommes nomment le Mot suprême,
On le lit de temps à autre, mais qui le lit sans cesse?
Ah! sur les lignes de la Coupe, un texte adorable est gravé
Que la bouche, à défaut des yeux, elle-même, sait lire.

7
Nous et le vin et le banc de la taverne et nos corps d'ivrognes, nous
sommes
Insoucieux de l'espoir de la miséricorde et de la terreur du
châtiment;
Nos âmes et nos coeurs, nos coupes et nos vêtements tachés de lie
Sont indépendants de la terre et du feu et de l'eau.

8
Ici-bas, il vaut mieux que tu te fasses peu d'amis;
Ne sors de toi-même que pour de brèves entrevues.
Celui-là dont le bras te semble un appui,
Examine-le bien, et prends garde.

9
Ce vase, ainsi que moi, fut autrefois un douloureux amant;
Avidement il s'est penché vers quelque cher visage.
Cette anse que tu vois à son col,
C'est un bras qui jadis enlaçait un cou bien-aimé.

10
Ah! malheur à ce coeur d'où la passion est absente,
Qui n'est pas sous le charme de l'amour, joie du coeur!
Le jour que tu passes sans amour
Ne mérite pas que le soleil l'éclairé et que la lune le console.

11
Aujourd'hui refleurit la saison de ma jeunesse;
J'ai le désir de ce vin d'où me vient toute joie.
Ne me blâme pas: même âpre il m'enchante;
Il est âpre parce qu'il a le goût de ma vie.

12
Tu n'as pas aujourd'hui de pouvoir sur demain;
L'anxiété du lendemain est inutile.
Si ton coeur n'est pas insensé, ne te soucie même pas du présent;
Sais-tu ce que vaudront les jours qu'il te reste à vivre?

13
Voici maintenant pour le monde un peu de bonheur possible,
Chaque coeur vivant a des aspirations vers la solitude.
Sur chaque branche, on croit apercevoir la blanche main de Moïse;
Chaque brise semble vivifiée par le souffle de Jésus.

14
Celui qui n'a pas vu croître et mûrir pour lui le fruit de
Vérité,
Ne marche pas d'un pied ferme sur la Route.
Quiconque inclina vers soi l'arbre de la science,
Sait qu'aujourd'hui est comme hier et demain comme le Premier Jour.

15
Au delà du Jour de la Création, au delà des deux, mon âme
Cherchait la Tablette et le Kalam, et le Ciel et l'Enfer;
Le Maître enfin m'a dit, lui dont l'esprit est plein de clarté:
"La Tablette et le Kalam, le Ciel et l'Enfer sont en toi."

16
Lève-toi, donne-moi du vin, est-ce le moment des vaines paroles?
Ce soir, ta petite bouche suffit à tous mes désirs.
Donne-moi du vin, rose comme tes joues...
Mes voeux de repentir sont aussi compliqués que tes boucles.

17
Le Printemps doucement évente le visage de la rose;
Dans l'ombre du jardin, comme un visage aimé est doux!
Rien de ce que tu peux dire du passé ne m'est un charme;
Sois heureux d'Aujourd'hui, ne parle pas d'Hier.

18
Combien de temps jetterai-je des pierres dans la mer!
Je suis écoeuré des idolâtres de la pagode:
Kháyyám! qui peut assurer qu'il habitera l'Enfer?
Qui donc jamais visita l'Enfer? qui, jamais revint du Ciel?

19
Ces atomes d'une coupe qu'il façonna pour l'emplir de vin,
Le buveur ne permettra pas qu'il soit dispersé au hasard.
Tous ces ornements délicats que ses doigts assemblèrent...
Pour l'amour de qui les fit-il? en haine de qui les briserait-il?

20
Comme l'eau du fleuve ou le vent du désert,
Un nouveau jour s'enfuit de mon existence...
Le chagrin ne fit jamais languir ma pensée, à propos de deux jours:
Celui qui n'est pas encore, celui qui est passé.

21
Puisque ma venue ne fut pas pour moi le jour de la Création
Et que mon départ est l'objet d'une sentence que j'ignore,
Lève-toi et ceins bien tes reins, agile porte-coupe,
Je vais noyer la misère de ce monde dans le vin.

22
Kháyyám, qui travailla aux tentes de la sagesse,
Tomba dans le brasier de la tristesse et fui consumé d'un seul coup;
Les ciseaux du destin ont coupé la corde de sa tente,
Et le marchand d'espoir l'a vendu pour une chanson.

23
Kháyyám, pourquoi pleurer ainsi sur tes péchés?
Que gagnes-tu en te livrant à une telle tristesse?
Puisque la Miséricorde n'est pas pour les justes,
Et ne s'éveille qu'aux bruits de nos péchés, pourquoi gémir?

24
Dans la cellule et à l'école, au monastère et à la synagogue
S'abritent ceux qui redoutent l'Enfer et recherchent le Ciel.
Celui qui connaît les secrets de Dieu
Ne sème pas de telles semences dans le coeur de son coeur.

25
Si, dans la saison du printemps, un être aux formes de houri
Me verse, sur le vert talus d'un champ, un gobelet plein de vin,
Bien que ceci puisse à tous sembler étrange:
Un chien vaut mieux que moi si je prononce alors le nom du Ciel.

26
Sache ceci: que de ton âme tu seras séparé,
Tu passeras derrière le rideau des secrets de Dieu.
Sois heureux... tu ne sais pas d'où tu es venu;
Bois du vin... tu ne sais où tu iras.

27
Je tombais de sommeil et la Sagesse me dit:
"Jamais, dans le sommeil, la rose du bonheur n'a fleuri pour
personne.
Pourquoi t'abandonner à ce frère de la mort?
Bois du vin!... Tu as des siècles pour dormir.

28
Mon coeur me dit: "J'ai le désir ardent d'une science inspirée;
Instruis-moi, si tu en es capable."
Je dis l'Alif; mon coeur reprit: "N'en dis pas davantage;
Si le Un est dans la maison, c'est assez d'une lettre."

29
Personne ne peut passer derrière le rideau qui cache l'énigme;
Nul esprit ne sait ce qui vit sous les apparences.
Sauf au coeur de la terre, nous sommes sans asile...
Bois du vin!... Ignores-tu qu'à de tels discours il n'y a pas de
fin?

30
Le mystère doit rester voilé aux esprits vils
Et les secrets impénétrables aux fous.
Réfléchis à tes actes vis-à-vis des autres hommes;
Il faut cacher nos espérances à toute l'humanité.

31
Dès le commencement fut écrit ce qui sera;
Infatigablement la Plume écrit, sans souci du bien ni du mal.
Le Premier Jour, Elle a marqué tout ce qui sera...
Notre douleur et nos efforts sont vains.

32
Au printemps, sur la berge d'un fleuve ou sur le bord d'un champ,
Avec quelques compagnons et une compagne belle comme une houri,
Apportez ta coupe... ceux qui boivent la boisson du matin
Sont indépendants de la mosquée et libres de la synagogue.

33
Je n'ai rêvé du ciel que comme d'un lieu de repos,
Car j'ai tant pleuré que je n'y vois qu'à peine.
L'enfer n'est qu'une étincelle à côté de ce qu'a subi mon âme
Et je ne crois au Paradis que lorsque je goûte un instant de paix.

34
On dit que le jardin d'Eden enchante les houris;
Je dis que le jus de la grappe est seul délectable.
Tiens-t'en à l'argent comptant et renonce à un gain promis,
Car le bruit des tambours, frère, n'est beau que de très loin.

35
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous l'argile,
Sans un intime, un ami, un camarade, une femme;
Veille à ne jamais dire ce secret à personne:
Les tulipes fanées ne refleuriront jamais.

36
Bois du vin... c'est lui la Vie éternelle,
C'est le trésor qui t'est resté des jours de ta jeunesse:
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres!
Sois heureux un instant, cet instant c'est ta vie.

37
Donne-moi du vin, remède de mon coeur blessé,
Bon compagnon de ceux qu'a fatigués l'amour;
Mon esprit aime mieux l'ivresse et ses mensonges
Que la voûte des deux, fond du crâne du monde.

38
Je bois du vin, et l'on me dit, à droite et à gauche:
"Ne bois pas de vin, c'est l'ennemi de la religion!"
Quand j'ai su que le vin était l'ennemi de la religion,
J'ai dit: "Par Allah! laissez-moi boire son sang, c'est un acte de
piété."

39
Le vin est un rubis liquide, et la coupe en est la mine,
La coupe est le corps dont le vin est l'âme.
La coupe de cristal où rit le vin
Est une larme dans laquelle est caché le sang du coeur.

40
J'ignore si Celui qui façonna mon être
M'a préparé une demeure dans le Ciel ou dans l'horrible Enfer;
Mais un peu de nourriture, une adorée et du vin sur le vert talus
d'une plaine,
Cela, c'est de l'argent... garde pour toi le Ciel auquel tu fais
crédit.

41
Le bien et le mal qui sont dans la nature humaine,
Le bonheur et le malheur que nous garde le destin...
N'en accuse pas le Ciel, car, au point de vue de la Sagesse,
Ce Ciel est mille fois plus impuissant que toi.

42
Quiconque arrose dans son coeur la plante de l'Amour
N'a pas un seul jour de sa vie qui soit inutile,
Soit qu'il cherche à aller au-devant de la volonté de Dieu,
Soit qu'il cherche le bien-être corporel et lève a coupe.

43
Partout où se voit une robe ou un parterre de tulipes,
Fut répandu jadis le sang d'un roi:
Chaque tige jaillissant du sol,
C'est le signe qui orna la joue d'une beauté.

44
Sois prudent: la fortune est incertaine;
Prends garde: le glaive du destin est acéré.
Si le sort te met des amandes douces dans la bouche,
Ne les avale pas; du poison s'y mélange.

45
Une cruche de vin, les lèvres de l'aimée, sur le bord d'une
pelouse,
Ont tari mon argent, ont ruiné ton crédit...
Toute la race humaine est vouée au Ciel ou à l'Enfer,
Mais qui jamais est allé en Enfer, qui jamais revint du Ciel?

46
Ô toi dont la joue est modelée sur le modèle des roses sauvages!
Toi dont le visage est moulé comme celui des idoles de la Chine,
Hier ton amoureux regard changea le roi de Babylone
En un fou que le joueur fait manoeuvrer sur l'échiquier.

47
Puisque la vie passe: qu'est-ce que Bagdad et Balk?
La coupe une fois pleine, qu'importent son amertume et sa douceur.
Bois du vin, car souvent après ton départ et le mien, cette même
Lune
Passera du dernier jour du mois au premier, du premier au dernier.

48
De ceux qui tirent le pur vin de dattes,
Et de ceux qui passent la nuit en prières,
Pas un n'est sur un terrain solide, tous se noient.
Il en est Un qui veille, les autres sont endormis.

49
Cette intelligence qui rôde dans les chemins du Ciel
Te dit cent fois par jour:
"A cette minute même, comprends donc que tu n'es point
Comme ces herbes qui reverdissent après avoir été cueillies."

50
Ceux qui sont les esclaves de l'intellect et des vaines subtilités
Sont morts au milieu des querelles sur l'être et le non-être.
Va! toi le simple, choisis le jus de la grappe,
Car les ignorants, d'avoir mangé des raisins secs, sont devenus
comme des raisins verts.

51
Ma venue ne fut d'aucun profit pour la sphère céleste;
Mon départ ne diminuera ni sa beauté, ni sa grandeur;
Mes deux oreilles n'ont jamais entendu dire par personne
Le pourquoi de cette venue et celui de ce départ.

52
Nous serons effacés du chemin de l'amour;
Le destin nous broiera sous ses talons;
O porte-coupe au doux visage, quitte ta pose paresseuse...
Donne-moi de l'eau, car je deviendrai de la poussière.

53
Maintenant, du bonheur il ne nous reste que le nom;
Hormis le vin nouveau, pas un vieil ami n'est resté.
Ne détourne pas ton geste joyeux de la coupe,
Car aujourd'hui, c'est elle seule qui reste à notre portée.

54
Ce que la Plume a écrit ne change jamais:
S'en désoler ne procure qu'une tristesse profonde;
Même en subissant l'angoisse toute ta vie,
Tu n'ajoutes pas à celle-ci une goutte de plus.

55
Ô coeur, laisse un moment la société des malades d'amour.
Cesse pour un moment d'être absorbé par ces choses frivoles,
Va rôder au seuil des derviches....
Peut-être faut-il que tu sois reçu un moment des Reçus?

56
Ceux qui, pendant quelque temps, ornent le Ciel,
Viennent, vont et reviennent, suivant l'heure.
Dans la chemise du ciel et dans la poche de la terre,
Il est, puisque Dieu ne meurt pas, des êtres qui naîtront.

57
Ceux dont les croyances sont basées sur l'hypocrisie
Veulent faire une distinction entre l'âme et le corps.
Moi, je sais que le vin seul a le mot de l'énigme
Et qu'il donne conscience d'une parfaite Unité.

58
Les corps qui peuplent cette voûte du ciel
Déconcertent ceux qui pensent.
Prends garde de perdre le bout du fil de la sagesse,
Car les guides eux-mêmes ont le vertige.

59
Je ne suis pas homme à craindre te non-être,
Cette moitié du destin me plaît mieux que l'autre moitié;
C'est une vie qui me fut prêtée par Dieu;
Je la rendrai quand il faudra la rendre.

60
La vie passe, mystérieuse caravane,
Dérobe-lui sa minute de joie!
Porte-coupe! pourquoi t'attrister sur le lendemain de tes compagnons,
Verse du vin... la nuit s'écoule...

61
Étant vieux, mon amour pour toi m'a fait donner dans un piège,
Sinon comment se fait-il que ma main tienne cette coupe de Nebid.
L'aimée a tué le repentir qu'enfanta la raison
Elle a déchiré la robe que la patience a cousue.

62
Bien que le vin ait déchiré mon voile,
Tant que vivra mon âme, je ne le délaisserai pas...
Mais, vraiment, ceux qui vendent le vin m'étonnent:
Que peuvent-ils acheter de meilleur que ce qu'ils vendent?

63
Tant de générosité, tant de tendresse en commençant!... Pourquoi?
Et m'avoir abreuvé de délices et de caresses... Pourquoi?
Maintenant tu ne songes qu'à déchirer mon coeur.
Que t'ai-je donc fait? une fois encore... Pourquoi?

64
Que mon âme soit hantée par le désir d'idoles pareilles aux
houris,
Que ma main, toute l'année, tienne la coupe pleine!
On me dit: "Que Dieu te donne le repentir!"
Il ne me le donnera pas, je n'en veux pas, n'en parlons plus.

65
Dans la taverne, tu ne peux faire le Wuzu qu'avec du vin,
Et tu ne peux y purifier ton nom terni.
Sois heureux... le voile de notre tempérance
Est si déchiré qu'on ne peut songer à le recoudre.

66
Je vis un homme, seul, sur la terrasse de sa maison,
Qui foulait sous ses pieds, avec mépris, de l'argile;
Et cette argile, dans son mystique langage, lui dit:
"Calme-toi, un jour, on te foulera comme tu me foules."

67
La journée est belle, la brise est tiède et pure;
La pluie a lavé la poussière qui ternissait la joue des roses.
Le rossignol dit à la rose, en la langue antique et sacrée:
"Toute ta vie, enivre-loi de chants suaves et de parfums!"

68
Avant que le destin te frappe à la tête,
Ordonne qu'on t'apporte du vin couleur de rose.
Pauvre sot, penses-tu être un trésor,
Et que l'on te déterrera après t'avoir enseveli?

69
Prends soin de me réconforter avec une coupe de vin
Et de donner à ma peau ambrée la couleur du rubis.
Quand je mourrai, lave-moi avec du vin,
Et fais avec du bois de vigne les planches de mon cercueil.

70
Ô Shah! les astres t'ont destiné au trône de Khosroès,
Ils ont sellé pour toi le cheval impérial;
Quand ton coursier aux sabots d'or bouge
Et pose le pied par terre, le sol se dore.

71
L'amour qui n'est pas sincère est sans valeur;
Comme un feu presque éteint, il ne réchauffe pas.
Le véritable amant, pendant des années, des mois, des nuits, des
jours,
Ne goûte ni repos, ni paix, ni nourriture, ni sommeil.

72
Nul, parmi ceux qui ont interrogé le noir mystère,
N'a fait un pas hors du cercle de l'Ombre.
Ô Femme, quelle bouche sinistrement muette as-tu baisée
Que tu nous aies tous créés silencieux et impuissants.

73
Limite tes désirs des choses de ce monde et vis content.
Détache-toi des entraves du bien et du mal d'ici-bas,
Prends la coupe et joue avec les boucles de l'aimée, car, bien vite
Tout passe... et combien de jours nous reste-t-il?

74
Du sein des nues, les deux font pleuvoir des fleurs:
On dirait qu'ils sèment des corolles dans le jardin.
Dans une coupe-lis je verse du vin rose,
Comme les nuées violettes répandent du jasmin.

75
Je bois du vin, et quiconque boit comme moi, en est digne.
Si je bois, c'est chose bien légère devant Lui.
Dieu savait, dès le premier jour, que je boirais du vin,
Si je ne buvais pas, la science de Dieu serait vaine.

76
Ne laisse pas la tristesse t'êtreindre
Et d'absurdes soucis troubler tes jours,
N'abandonne pas le livre, les lèvres de l'aimée et les odorantes
pelouses
Avant que la terre te prenne dans son sein.

77
Bois du vin, pour qu'il chasse au loin toutes tes misères
Et la troublante pensée des Soixante-douze sectes.
Ne fuis pas l'alchimiste, car de lui
Si tu prends seulement une gorgée, il fera s'évanouir en toi mille
soucis.

78
Le vin est défendu, car tout dépend de qui le boit,
Et aussi de sa qualité et de la compagnie du buveur.
Ces trois conditions réalisées, tu peux dire:
Qui donc boit du vin, si ce n'est le sage?

79
Bois du vin, ton corps un jour sera poussière,
Et de cette poussière on fera des coupes et des jarres...
Sois sans souci du Ciel et de l'Enfer:
Pourquoi le sage se troublerait-il de telles choses?

80
Voici la saison où la terre se décore sous les brises du printemps
Et laisse s'ouvrir des yeux, pleins d'espoir de la pluie.
Les mains de Moïse semblent argenter les jeunes branches,
Le souffle de Jésus s'exhale de la terre.

81
Chaque goutte que laisse tomber à terre l'échanson,
Eteint le feu de l'angoisse dans un oeil attristé.
Gloire à Dieu! tu admets donc que le vin
Est un baume qui allège ton coeur de bien des peines.

82
Tous les matins la rosée emperle les tulipes,
Les violettes inclinent leurs têtes, dans le jardin;
En vérité, rien ne me ravit comme le bouton de rose,
Qui semble ramasser, autour de lui, sa tunique soyeuse.

83
Amis, lorsque vous êtes réunis,
Il faut que vous pensiez tendrement à moi;
Quand vous boirez ensemble le vin généreux,
Et que ce sera mon tour, videz votre verre jusqu'au fond.

84
Amis, quand, à vos rendez-vous,
Vous jouissez des charmes l'un de l'autre;
Quand l'échanson prend en main le vin Maghâni,
Souvenez-vous, dans votre toast, d'un malheureux qui vous fut cher.

85
Une seule coupe de vin vaut cent coeurs et cent religions;
Un trait de vin vaut l'empire de la Chine.
Hors du vin, ce rubis, il n'y a point sur terre
Une seule chose acide valant mille âmes douces.

86
Si tu désires aller vers Lui, quitte femme et enfants,
Courageusement sépare-toi de tes proches et de tes amis;
N'importe qui, sur ta route, te retarde;
Comment voyager avec de tels obstacles?... écarte-les!

87
Apporte-moi ce rubis dans un verre de cristal;
Ce compagnon, ce familier parmi les libres,
Puisque tu sais que ce monde de poussière
N'est qu'un souffle qui passe... apporte-moi du vin.

88
Debout! apporte le remède à ce coeur oppressé,
Donne le vin à l'odeur musquée, le vin couleur de rose.
Veux-tu l'antidote de la tristesse:
Apporte le vin, ce rubis, et le luth aux cordes de soie.

89
J'ai vu hier, au bazar, un potier
Qui piétinait avec acharnement de l'argile;
Et l'argile lui dit, en son mystique langage:
"Jadis, je fus vivante, ainsi que toi; sois moins brutal."

90
Bois de ce vin, c'est la vie éternelle;
C'est ce qui reste en toi des juvéniles délices; bois!
Il brûle comme le feu, mais les tristesses
Il les change en une eau vitale, bois!

91
Ne suis pas la Sunnat, laisse ses préceptes;
Ne refuse à personne le morceau que tu possèdes;
Ne calomnie pas, n'afflige pas un seul coeur
Je te garantis le monde à venir... apporte du vin.

92
Le vin a le rouge des roses, le verre est plein e l'eau des roses...
peut-être!
Dans l'écrin de cristal est un rubis très pur... peut-être!
Dans l'eau est un diamant liquide... peut-être
Le clair de lune est le voile du soleil... peut-être!

93
Chaque voeu de repentir, nous le rompons encore
Et refermons sur nous la porte de bon renom.
Ne me blâme pas si j'agis comme un exalté,
Car, une fois de plus, je suis ivre du vin de l'amour.

94
Pour parler clairement et sans paraboles,
Pour parler clairement et sans paraboles,
Nous sommes les pièces du jeu que joue le Ciel;
On s'amuse avec nous sur l'échiquier de l'être,
Et puis nous retournons, un par un, dans la boîte du Néant.

95
Ô coeur! puisqu'en ce monde le vrai même est une hyperbole,
Pourquoi t'inquiéter à ce point de ce trouble et de cet
abaissement,
Livre ton corps au destin, et ton âme à la merci des heures;
Ce que la Plume a écrit ne sera pas raturé pour toi.

96
Sur le visage de la rose, un peu de brume flotte toujours;
Toujours en moi, dans mon coeur, vit le désir du vin.
Ne dors pas! qui t'a donné le droit de dormir?
Chère, donne-moi du vin, le soleil brille encore.

97
Va! jette de la poussière à la face du ciel,
Bois du vin, étreins la beauté:
Est-ce le moment de la prière et de la supplication?
Puisque, de tous ceux qui sont partis, pas un seul n'est revenu.

98
Remplis la coupe: le jour naît, lilial comme la neige;
Apprends du vin, quelle est la couleur du rubis.
Prends deux morceaux de bois d'aloès et éclaire l'assemblée:
Fais un luth avec l'un, une torche avec l'autre.

99
Nous sommes retournés à notre débauche d'habitude,
Nous avons renoncé aux Cinq Prières.
Partout où se trouve une coupe, tu nous verras
Allonger le cou comme le cou de la bouteille.

100
Plein de désir, j'ai mis mes lèvres aux lèvres de la Jarre,
Pour lui demander combien longue serait ma vie.
Elle a collé ses lèvres à la mienne et m'a dit:
"Bois du vin, tu ne reviendras pas en ce monde."

101
Si tu veux m'écouter, je te donne ce conseil:
Pour l'amour de Dieu, ne te revêts pas de la robe d'hypocrisie.
La vie future c'est le toujours, ce monde n'est qu'un instant;
Ne vends pas te royaume de l'éternité pour une seconde.

102
Sois heureux, Kháyyám, si tu es ivre,
Si tu reposes près d'une aimée aux joues de tulipe, sois heureux;
Puisqu'à la fin de tout tu seras le néant,
Rêve que tu n'es plus, déjà... sois heureux.

103
Hier soir je suis allé dans l'atelier d'un potier;
Je vis deux mille pots, les uns parlaient, les autres gardaient le
silence
Tout à coup, l'un d'eux s'écria, d'une voix agressive:
"Où donc est le potier, l'acheteur et le marchand?"

104
De cet esprit qu'on appelle le vin pur,
On dit: "C'est le remède d'un coeur dévasté."
Alors bien vite apportez-moi deux ou trois coupes pleines;
Pourquoi donc appelle-t-on cette boisson si bonne, l'eau maudite?

105
Regarde mes mérites un à un, pardonne mes péchés par dizaine,
Pardonne tout péché passé, le compte en est à Dieu.
Ne laisse ni l'air ni le vent attiser ta haine,
Pardonne-moi par la poussière de la tombe de Mohamed!

106
Vraiment le vin dans la coupe est un gracieux esprit,
Une âme délicate habite aux flancs sonores de la jarre.
Rien de lourd n'est digne d'être l'ami du vin
Si ce n'est la coupe, car elle est, à la fois, et lourde et
délicate.

107
Où donc est la limite de l'éternité à venir ou celle de
l'éternité du passé?
C'est maintenant l'heure de la joie, rien ne remplace le vin.
Théorie et pratique sont au-dessus de ma portée,
Mais le vin dénoue le noeud de toute énigme.

108
Cette voûte céleste devant laquelle nous restons interdits,
Nous savons qu'elle n'est qu'une sorte de lanterne magique;
Le soleil est la lampe et l'univers la lanterne,
Et nous les images qui tournent.

109
Je ne suis pas toujours maître de moi-même... que puis-je y faire?
Et je souffre pour mes actions... que puis-je y faire?
Vraiment, je crois à ton pardon généreux.
Tant j'ai honte de penser que tu as vu mes actes... mais que puis-je
y faire?

110
Il me faut me lever pour chercher le vin pur.
Toi, donne à mes joues la couleur du jujubier.
Si la raison me tourmente encore, je lui cracherai au visage
Une gorgée de vin... pour qu'elle dorme!

111
Combien de temps encore serons-nous les esclaves des problèmes
quotidiens?
Qu'importe que nous vivions un an ou un jour, en ce monde.
Verse une coupe de vin, avant
Que nous soyons des pots dans l'atelier du potier.

112
Puisque notre séjour en ce couvent n'est pas durable,
Sans l'Échanson et sans l'amour, quelle amertume que la vie!
O philosophe, combien durent les croyances anciennes et nouvelles?
Puisque je dois partir, que m'importe si le monde est ancien ou
nouveau?

113
En t'aimant j'encours des reproches pour cent péchés,
Et si je manque à cet engagement, je paie une amende.
Si je reste fidèle toute ma vie à ta cruauté,
Plaise à Dieu, j'ai un fardeau moins lourd à porter jusqu'au jour
du jugement.

114
Le monde étant périssable, je ne fais que de l'artificiel;
Je ne suis que pour la gaîtê et le vin qui brille.
On me dit: "Que Dieu t'accorde le repentir!"
Il ne le donne pas et, le donnerait-il, je n'en voudrais pas.

115
Bien que je sois venu, très humble, à la mosquée,
Par Dieu! je n'y suis pas venu pour la prière;
J'y suis venu pour y voler un tapis de prière
Que le péché use... et j'y suis retourné plusieurs fois.

116
Quand je serai terrassé sous les pieds du destin,
Et que l'espoir de vivre sera déraciné de mon coeur,
Veille à faire une coupe avec ma poussière:
Ainsi, rempli de vin, je revivrai peut-être.

117
Mon coeur ne sait plus distinguer entre l'appât et le piège;
Un avis me pousse vers la mosquée, l'autre vers la coupe;
Pourtant, le vin, l'aimée et moi
Nous sommes mieux cuits dans une taverne que crus dans un monastère.

118
C'est le matin, humons un instant le vin couleur de rose,
Et brisons encore une fois sur la pierre ce vase de bonne renommée
et d'honneur.
Cessons de haleter vers ce qui fut longtemps notre espoir
Et jouons avec les longues boucles et le manche sculpté du luth.

119
Nous avons préféré au monde un petit coin et deux pains,
Et nous nous sommes sevrés du désir de sa fortune et de sa
magnificence.
Nous avons acheté la pauvreté avec notre coeur et notre âme;
Nous avons, dans la pauvreté, découvert de grandes richesses.

120
Je connais le dehors de l'être et du non-être,
Je connais l'intérieur de tout ce qui est haut et bas:
Pourtant, quelle honte de mon savoir
Si je reconnaissais quelque chose de plus haut que l'ivresse.

121
Jeunes, nous avons quelque temps fréquenté un maître,
Quelque temps nous fûmes heureux de nos progrès;
Vois le fond de tout cela: que nous arriva-t-il?
Nous étions venus comme de l'eau, nous sommes partis comme le vent.

122
Pour celui qui comprend les mystères du monde,
La joie et la tristesse sont identiques;
Puisque le bien et le mal doivent tous deux finir,
Qu'importe que tout soit peine, à ton choix, ou que tout soit
remède.

123
Imite, autant qu'il dépend de toi, les libertins;
Sape les fondements de la prière et du jeûne.
Écoute la Parole de Vérité de Omar Kháyyám:
"Enivre-toi, vole sur les grands chemins, et sois bon."

124
Puisque toute mission de la race humaine en ce désert,
Ce n'est que de souffrir et puis de rendre l'âme,
Le coeur allégé c'est celui qui s'en va bien vite de ce monde,
Et celui-là connaît le repos qui n'y est jamais venu.

125
Derviche! arrache de ton corps ce voile fleuri d'arabesques,
Plutôt que de sacrifier à ce voile ton corps.
Va, jette sur tes épaules la bure de la Pauvreté,
Et des tambours battront pour toi, dans ton coeur, des marches
royales.

126
Regarde les méfaits de cette voûte céleste,
Et vois ce monde vide... puisque les amis sont partis.
Autant que lu le peux, vis un moment pour toi-même;
Ne goûte qu'au présent... le passé a l'odeur des Morts.

127
Boire du vin et étreindre la beauté
Vaut mieux que l'hypocrisie du dévot;
Si l'amoureux et si l'ivrogne sont voués à l'Enfer,
Personne, alors, ne verra la face du Ciel.

128
On ne peut consumer de tristesse le coeur empli de joie,
Ni détruire le plaisir de vivre en le passant à la pierre de
touche.
Il n'est personne qui sache le secret du futur;
Ce qu'il faut, c'est du vin, l'amour et le repos à discrétion.

129
Cette voûte céleste, pour ma perte et la tienne,
Vise nos âmes pures, la mienne et la tienne,
Assieds-toi sur le gazon, mon Idole; avant peu
Ce même gazon croîtra de ma poussière et de la tienne.

130
À quoi bon la venue; à quoi bon le départ?
Où donc est la chaîne de la trame de notre vie;
Que de corps délicats le monde brise?
Où donc est partie leur fumée?

131
Fuis l'étude de toutes les sciences... cela vaut mieux;
Natte en jouant les boucles de l'aimée... cela vaut mieux;
Avant que le sort ne répande ton sang,
Répands le sang de la bouteille dans ta coupe... cela vaut mieux.

132
Ah! ma barbe a balayé le seuil de la taverne!
J'ai dit adieu au bien et au mal des deux mondes;
S'ils tombent dans ma rue comme deux balles,
Tu me trouveras, si tu me cherches, dormant du sommeil de l'ivrogne.

133
Il vaut mieux s'abstenir de tout, sauf de boire
Et le vin est meilleur, quand des beautés qui en sont ivres, vous le
versent dans un kiosque...
Rien ne vaut d'être un ivrogne, un calender, un vagabond,
Rien n'est meilleur que de boire depuis Mah jusqu'à Mahi.

134
Cette voûte céleste est comme un bol tombé le fond en l'air,
Et sous lequel sont prisonniers tous les sages.
Toi, imite l'amour de la coupe et de la jarre:
Ils sont lèvre contre lèvre, bien que le sang coule entre eux deux.

135
Vois, la brise a déchiré la robe de la rose,
De la rose dont le rossignol était énamouré;
Faut-il pleurer sur elle, faut-il pleurer sur nous?
La Mort viendra nous effeuiller et d'autres roses refleuriront.

136
Combien de temps m'affligerai-je de ce que j'ai fait ou n'ai pas
fait,
Et du souci de mener ma vie d'un coeur léger, ou non?
Remplis la coupe, car j'ignore
Si j'exhalerai ce souffle que j'aspire.

137
Ne te livre pas aux soucis de ce monde injuste;
N'évoque pas le souvenir en deuil des trépassés.
Ne donne ton coeur qu'à la fille des Péris, aux seins de jasmin.
Aie toujours du vin; ne jette pas ta vie aux vents qui passent.

138
Bien que ta vie compte plus de soixante années, ne cède pas;
Où que tu ailles, ne marche pas autrement qu'en homme ivre.
Avant que de ton crâne on fasse une jarre,
Ne descends pas la cruche de ton épaule et ne lâche pas la coupe.

139
Une gorgée de vin vieux est meilleure qu'un nouveau royaume.
Évite tout chemin, sauf celui qui conduit au vin... c'est mieux ainsi.
Une coupe vaut cent fois mieux que le royaume de Feridun;
La tuile qui couvre la jarre vaut mieux que la couronne de Khosroès.
La tuile qui couvre la jarre vaut mieux que la couronne de Khosroès.
140
Ô Saki, ceux qui sont partis avant nous
Se sont endormis dans la poussière de leur vanité.
Va! bois du vin et apprends de mes lèvres la vérité:
Tout ce qu'ils ont dit, ô Saki, c'est du vent.

141
Seigneur! tu as brisé mon flacon de vin.
Seigneur! tu as refermé sur moi la porte du bonheur.
Tu as répandu mon vin pur sur le sol;
Que je meure! mais c'est toi qui es ivre, ô mon Seigneur!

142
Ô Ciel, dans tes largesses, tous les misérables ont leur part:
Tu leur accordes la subsistance nécessaire au supplice de Vivre;
Mais, je te le demande, ô Ciel, si tu étais un homme,
Donnerais-tu même une figue pour une félicité pareille?

143
Ô coeur! jamais tu ne sonderas le mystère,
Jamais tu n'éclairciras les subtilités des philosophes.
Fais-toi un ciel du vin et de la coupe,
Car au Ciel véritable, sais-tu si tu pénétreras jamais.

144
Tu ne te nourris que de la Fumée de la cuisine du Monde.
Combien de temps gémiras-tu à propos de l'être et du non-être?
Le capital que tu convoites s'use à réparer maintes brèches,
Mais tu perds ton temps à supputer un trésor qui ne t'appartient
pas.

145
Ô âme, si tu peux te nettoyer de la poussière de ton corps,
Esprit nu, tu planeras dans le ciel.
L'empyrée sera ton séjour, mais que ce soit ta honte
Si tu y viens étant encore un habitant de la terre.

146
Hier soir, j'ai brisé ma coupe contre une pierre...
La tête me tourna d'avoir pu faire une telle chose,
Et la coupe m'a dit dans sa langue mystique:
"J'ai été comme toi, tu seras comme moi un jour."

147
Prends la coupe et le flacon, ô désir de mon coeur!
Joyeux, promène-toi dans le jardin et sur le bord des fleuves.
Combien d'êtres charmants, le Ciel moqueur
A-t-il cent fois changés en coupes et cent fois en flacons.

148
Sur la route où je vais, en mille endroits, tu mets des pièges;
Tu dis: "Je te prendrai si tu y mets le pied."
Pas un atome du monde n'échappe à ton pouvoir,
Tu ordonnes toutes choses, et tu m'appelles révolté!

149
Ce que je veux, c'est une gdutte de vin couleur de rubis et un livre
de vers,
Et la moitié d'un pain, assez pour soutenir ma vie.
Et si je suis alors assis près toi, même en quelque lieu désert et
désolé,
Je serai plus heureux que dans le royaume d'un sultan.

150
Ne te dépenses pas tant en tristesse insensée, mais sois en fête.
Donne, dans le chemin de l'injustice, l'exemple de la justice.
Puisque la fin de ce monde est le néant,
Suppose que tu n'existes pas, et sois libre.

151
Regarde, ainsi que je le fais, de tous côtés.
Dans le jardin, coule un bras du Kausar,
Le désert devient semblable au Ciel, tu peux dire que l'Enfer n'est
plus.
Assieds-toi donc au Ciel avec une amie au visage céleste.

152
Sois heureux, car on a fixé hier ta récompense,
Et l'hier est bien loin, au delà de ta portée.
Sois heureux, sans que tous tes efforts aboutissent,
Hier, avec certitude, on a marqué ce que tu feras demain.

153
Verse le vin rouge, couleur des tulipes nouvelles,
Tire le sang pur de la gorge de la jarre,
Car aujourd'hui, hors la coupe, je n'ai pas
Un seul ami qui possède un coeur pur.

154
À mon coeur attentif le ciel a murmuré en secret:
"Apprends de moi les commandements que j'ai décrétés,
Si j'avais pu quelque chose sur mes propres évolutions
Le vin m'aurait préservé du vertige."

155
Tant que j'aurai un peu de pain à portée de ma main,
Une gourde de vin et un morceau de viande,
Et que nous pourrons tous les deux nous asseoir dans la solitude,
Aucun sultan ne m'aura pour convive dans ses plus somptueux festins.

156
Si, maintenant, deux mesures de vin te sont données,
Bois du vin dans toute assemblée, dans toute réunion,
Car Celui qui fit le monde ne s'occupe
Ni de moustaches comme les tiennes, ni de barbes comme la mienne.

157
Si j'avais été libre de venir, je ne serais pas venu.
Si je pouvais contrôler mes pas, où donc irais-je?
Ne vaudrait-il pas mieux qu'en ce monde de poussière
Je n'aie pas eu à venir, à en partir... y vivre!

158
Le Ramadan finit, voici la saison des fêtes,
La saison de la joie et des beaux diseurs de contes...
Voici les porteurs de vin, les marchands de rêve...
Coeurs fatigués du jeûne, enivrez-vous!